«Ce cheval brisé, c’était moi.»
martes, mayo 05, 2020
«Très belle, très déterminée, courageuse, pleine d’humanité, super énergique... et en même temps rien de tout cela, en un sens ; tout et rien, quelque chose d’autre, vraiment, quelque chose sur lequel je n’arrive pas à mettre le doigt. Quelque chose de mystérieux, d’au-delà des mots et des définitions.»
«(Sous la forme d’une vision hypnagogique, ressentie comme réelle)»
«Je comprends maintenant pourquoi Jamis, à elle toute seule, a effacé toute ma souffrance, non seulement celle que je ressens depuis mon arrivée à Vancouver, mais aussi celle que je ressens depuis des mois et des mois. Depuis, en fait, le départ de Nancy. Je comprends aussi pourquoi je me suis tant attaché à Katherine. Je comprends tout le sens de mes sentiments des dernières années, au moins depuis 1964, en remontant loin loin loin, très loin, jusqu’au début de ma vie émotionnelle. Je vois ce qui manquait à Anne, ce qui m’a poussé à la quitter afin de le chercher ailleurs et que j’ai trouvé en partie chez Nancy puis, plus tard, chez Kathy, en moins prononcé. Jamis, elle, a tout. Elle est plus comme Nancy et plus comme Kathy que Nancy ou Kathy elles-mêmes. Dali croyait avoir cherché sa femme Gala toute sa vie, l’avoir trouvée un nombre incalculable de fois mais seulement en partie, jusqu’à ce qu’il la trouve enfin au complet. Toute ma vie l’image que j’ai poursuivie a été celle de Jamis. Comme je disais, vendredi soir un rêve merveilleux est devenu réalité. Jamis et moi avons flashé l’un sur l’autre, et pour la première fois de ma vie, je trouve tout ce que je cherche réuni en une seule personne. Mais ce rêve merveilleux, j’aimerais qu’il passe, que grâce à Dieu il soit déjà terminé. Même si de retour chez moi vendredi soir, après avoir ramené Jamis, j’ai réalisé que j’avais enfin découvert ce que Faust avait trouvé : que ce qu’il ne voulait pas voir s’efface au profit de quelque chose d’autre. Mais quelle tragédie, mon Dieu. Ma souffrance était terminée. Le vide en moi, la douleur, avaient disparu. Mais à quel prix ? Parce que ça va tuer la petite Jamis. Ça ne lui convient pas du tout.»
Cette nuit-là, la nuit de vendredi à samedi, vers cinq heures du matin, j’ai fait un rêve qui ne ressemblait à aucun de mes rêves précédents. J’étais de retour à West Marin, dans le grand salon à baies vitrées, avec des amis, les animaux et les enfants. Tout à coup, en relevant les yeux, j’apercevais par la baie vitrée un cheval qui venait tout droit vers moi, monté par un cavalier, il était presque sur moi, il allait faire voler la vitre en éclats. Je n’avais jamais vu pareil animal, ni en vrai ni en rêve : le corps mince et allongé, les jambes nerveuses, les yeux exorbités... Tel un cheval de course, rapide, furieux, il fonçait sur moi en silence, puis bondissait par-dessus la maison comme dans une course d’obstacles. Trop tard pour m’échapper, aussi m’accroupissais-je en m’attendant à ce qu’il s’écrase sur le toit et fasse s’écrouler la maison. Il lui était impossible de la franchir d’un bond ; c’est pourtant ce qui arriva. Pas de choc. La maison resta debout. Le cheval avait réussi. Je me précipitais dehors, certain qu’il avait dû faire une chute affreuse. Je le trouvais effectivement qui se débattait dans la boue et les branchages arrachés, brisé, mutilé, un spectacle horrible. Un vrai désastre : au vu des blessures de ce cheval magnifique, il allait falloir l’achever. Ainsi que le cavalier, probablement. Il y avait plus que ça, mais l’essentiel résidait dans ce grand moment d’affrontement avec la réalité ;
la réalité était descendue sur moi et, dans un effort colossal, avait sauté par-dessus moi, m’épargnant tout en se détruisant elle-même. Je me portais bien, j’étais intact, sain et sauf. Elle, la grande force de vie puisant qui s’élevait dans le ciel, s’était sacrifiée dans un ultime et puissant effort pour périr dans le chaos, les ruines et les débris. Quel prix. Quel sacrifice, quelle rançon injustes. Un échange. C’était comme si le rêve disait : le moment de Vérité que tu as attendu toute ta vie, l’ultime grand combat, le test, le jour de la révélation, il vient d’arriver, tu l’as passé, tu as survécu. Mais tout le reste a péri. Voilà tout ce que le rêve montrait, sans commentaires. Rien que des faits. C’est ainsi. Tu t’en es sorti. Le cheval, bien entendu, n’était pas qu’une simple « force vitale » abstraite, comme l’électricité, mais l’éclatante et authentique force vitale qui coule en Jamis. Elle est le cheval, ou bien le cheval est Jamis : de toute façon, chaque fois que je la rencontre, c’est lui que je rencontre. L’envol du cheval dans le ciel, son énorme bond final, est le grand décollage de Jamis dans la vie. Au fait, elle a dépensé tout son argent pour prendre des leçons de pilotage, « parce qu’il faut faire ce qui t’effraie le plus », comme elle dit. En vérité, le cheval n’a pas essayé de sauter par-dessus la maison pour m’épargner, en fait il ne m’a même pas remarqué. Je me trouvais là par hasard. C’est la maison et non moi qu’il a tenté de franchir, et il y a réussi, ce qui a abouti à son horrible destruction. Ce que dit le rêve, c’est : elle essaiera, elle le fera, et elle se tuera de toute façon, sans tenir compte de toi le moins du monde. En un sens, elle ne te voit même pas. La vie ne te voit pas. Du moins, l’archétype qui a de toute façon pris possession de la petite Jamis, il y a trois ou quatre ans de cela, je pense, a priori quand elle a été mentalement malade et placée dans un établissement. Elle m’a dit que sa sœur s’était suicidée à quinze ans. Que son père et sa mère sont dérangés. « J’ai été folle pendant trois ans », m’a-t-elle dit le dernier soir de la convention avant d’éclater en sanglots et de pleurer sans retenue. « Et je vais le redevenir », elle a ajouté. Je l’ai réconfortée et l’ai fait raccompagner par Gail Kendall. Je savais ne pas pouvoir lui venir en aide, et de toute façon elle n’en voulait pas. Ensuite, je l’ai un peu oubliée et j’ai eu cette liaison avec Susie. Elle n’a pas besoin d’aide ; c’est elle qui me venait en aide. Mais vendredi soir, l’horrible cauchemar de la petite Jamis nous a annoncé – à Jamis et sûrement à moi quand elle me l’a raconté – qu’à un certain niveau sa petite âme courageuse allait être à nouveau réduite en miettes. Pendant la convention, et plusieurs fois ensuite au téléphone, je lui ai dit que je m’inquiétais pour elle, je voulais « m’assurer qu’elle allait bien ». Elle me répondait qu’elle n’avait pas besoin d’aide, que tout baignait. Vendredi soir, c’était un autre son de cloche, elle savait ce que je savais, ce dont elle avait pris conscience à la fin de la convention. Mon coup de fil inopiné l’a réveillée. Je l’ai invitée à sortir. Nous avons passé un bon moment, un moment sublime. Mais je suis comme la vieille dame dans cette histoire du New Yorker que toi et moi avons lue il y a des années, celle qui dit à la jeune fille de venir la trouver dès qu’elle a besoin d’aide... Et quand la fille vient, la vieille dame lui dit : « Tenez, prenez un biscuit. » Voilà ce que je suis, vieux et vide, je n’ai rien à donner à Jamis et je me demande si j’ai jamais eu quelque chose à donner à Nancy, Shelley, Kathy, Steph, Rosie ou n’importe quelle autre. Mais aucune d’elles n’y a jamais vraiment cru de toute façon, je me faisais des illusions. Heureusement, même si j’en ai souffert à l’époque, elles ont vu clair dans ma proposition de les aider, elles ont bien vu qu’en réalité je ne pouvais leur apporter que très peu. Ça m’a blessé, mais c’était mieux pour elles. J’ai souffert. Elles sont parties. J’étais seul. J’ai continué à être seul. C’est triste. Mais mon Dieu, que se passe-t-il maintenant ? Voilà que vendredi soir une gamine descend en courant les escaliers pour m’accueillir, tout heureuse et excitée qu’on l’ait appelée, qu’on l’invite à sortir, comme je l’ai fait Et nous avons passé un moment super. Pendant cinq ou six heures, je l’ai extraite – et moi avec – de la solitude et de la peur, d’une énorme terreur,...»
«Le cheval de mon rêve, cette force vitale et galopante prisonnière du monde des vivants, était, bien entendu, une force en moi aussi bien qu’en Jamis. Il représentait un bond phénoménal des forces étrangères en moi, un flot immense et dangereux qui me menaçait – par inadvertance – mais qui en fin de compte m’a laissé intact quand il a expiré. Je suis simplement redevenu ce que j’étais. Comme si, vendredi soir, l’énorme percée en Jamis et moi s’était épuisée d’elle-même et que j’avais régressé à mon état antérieur.»
«Toute sa vie consciente, l’intégralité de son moi pensant et rationnel a été mis au rebut, rejeté, qualifié de creux par son inconscient, et quand l’inconscient agit ainsi, il ne dit pas simplement « votre moi conscient n’a aucune substance », en émettant ce jugement, il réduit d’un coup le moi conscient en miettes. Son animus n’avait pas exprimé une opinion : il avait pris une décision. Il lui avait ramené son devoir et lui avait montré sa nullité. Il lui avait dit la vérité. J’ai bien peur qu’il – l’animus – n’ait raison.»
«Le hasard joue un rôle si grand dans les affaires humaines.»
«Ce cheval brisé, c’était moi.»
«...mais parce que je devine que l’univers entier n’a aucun sens pour moi.»
«...avoir quelqu’un qui continue à être présent sans disparaître soudain, c’est ça qu’il me faut.»
«Il ne fait aucun doute pour moi que je suis entré dans une toute nouvelle phase de mon monde psychologique en crise perpétuelle. J’ai fait des dépressions pendant des années et ça allait de mal en pis. Voilà désormais du nouveau. En mieux ou en pire, je n’en sais rien, mais il y a du changement. Je ne me sens pas seul ni rejeté ; je sens qu’on me marche sur les pieds, qu’il y a trop de gens trop près de moi... Je suis d’humeur irritable et agressive, vivant et plein d’énergie comme Rita, et aussi bourré de ressentiment et d’ennui.»
«Je ne ressens rien, comme s’il me manquait un bout de cerveau.»
Philip K. Dick
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