«Depuis que je me connais, l’amour m’a toujours semblé le dieu de mon être.»
martes, junio 16, 2015
«Depuis que je me connais, l’amour m’a toujours semblé le dieu de mon être;
car toutes les fois que je voyais un homme, j’étais ravie ; il me semblait que je voyais la moitié de moi-même, puisque je le sentais fait pour moi et que je me sentais faite pour lui. Il me tardait d’être mariée. C’était ce besoin vague du cœur qui fait toute l’occupation d’une jeune fille vers son quinzième printemps. Je n’avais aucune idée de l’amour, mais je m’imaginais qu’il devait venir tout naturellement après le mariage. Aussi tu peux te figurer ma surprise lorsque mon mari, en me rendant femme, ne me donna que la douleur sans me faire soupçonner le plaisir !
Mon imagination au couvent me servait bien mieux que la réalité que j’avais acquise !
Aussi il est arrivé tout naturellement de là que nous sommes devenus de bons amis et des époux très froids, nullement curieux l’un de l’autre. Il a, du reste, tout lieu d’être content de moi, car je suis toujours docile à ses ordres ; mais, la jouissance n’étant pas assaisonnée par l’amour, il doit la trouver sans saveur, et y il vient rarement.
Dès que je m’aperçus que tu m’aimais, je me sentis pleine d’aise, et je te fournis toutes les occasions de devenir chaque jour plus amoureux, me croyant certaine de ne jamais t’aimer ;
mais, quand je sentis que j’étais amoureuse aussi, je te maltraitai pour te punir de m’avoir rendue sensible.
Ta patience, ta persistance m’ont étonnée et ont causé mes torts ;
mais, après le premier baiser, je n’ai plus été maîtresse de moi-même.
J’étais confondue du ravage qu’avait pu faire un simple baiser, et je sentis que je ne pouvais être heureuse qu’en faisant ton bonheur.
Cela m’a flattée, ravie, et j’ai reconnu, principalement cette nuit,
que je ne le suis qu'autant que tu l'es toi-même.»
Cassanova
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