Derrida La trace est en effet l'origine absolue du sens en général

domingo, octubre 20, 2013


"Aussi ce dernier concept est-il absolument et en droit « antérieur » à toute problématique physiologique sur la nature de l'engramme, ou métaphysique sur

le sens de la présence absolue dont la trace se donne ainsi à déchiffrer.

La trace est en effet l'origine absolue du sens en général.

Ce qui revient à dire, encore une fois,

qu'il n'y a pas d'origine absolue du sens en général.

La trace est la différance qui ouvre l'apparaître et la signification.

Articulant le vivant sur le non-vivant en général, origine de toute répétition, origine de l'idéalité, elle n'est pas plus idéale que réelle, pas plus intelligible que sensible, pas plus une signification transparente qu'une énergie opaque et aucun concept de la métaphysique ne peut la décrire. Et comme elle est a fortiori antérieure à la distinction entre les régions de la sensibilité, au son autant qu'à la lumière, y a-t-il un sens à établir une hiérarchie « naturelle » entre l'empreinte acoustique, par exemple, et l'empreinte visuelle (graphique) ? L'image graphique n'est pas vue ; et l'image acoustique n'est pas entendue. La différence entre les unités pleines de la voix reste inouïe. Invisible aussi la différence dans le corps de l'inscription."


Derrida, De la grammatologie, p. 95


"C'est ce qui nous a autorisé à appeler trace ce qui ne se laisse pas résumer dans la simplicité d'un présent. On aurait pu en effet nous objecter que, dans la synthèse indécomposable de la temporalisation, la protention est aussi indispensable que la rétention. Et leurs deux dimensions ne s'ajoutent pas mais s'impliquent l'une l'autre d'une étrange façon. Ce qui s'anticipe dans la protention ne disjoint pas moins le présent de son identité à soi que ne le fait ce qui se retient dans la trace. Certes. Mais à privilégier l'anticipation, on risquait alors d'effacer l'irréductibilité du toujours-déjà-là et la passivité fondamentale qu'on appelle le temps. D'autre part, si la trace renvoie à un passé absolu, c'est qu'elle nous oblige à penser un passé qu'on ne peut plus comprendre dans la forme de la présence modifiée, comme un présent-passé. Or comme passé a toujours signifié présent-passé, le passé absolu qui se retient dans la trace ne mérite plus rigoureusement le nom de « passé ». Autre nom à raturer, d'autant plus que l'étrange mouvement de la trace annonce autant qu'il rappelle : la différance diffère. Avec la même précaution et sous la même rature, on peut dire que sa passivité est aussi son rapport à 1' « avenir ». Les concepts de présent, de passé et d'avenir, tout ce qui dans les concepts de temps et d'histoire en suppose l'évidence classique — le concept métaphysique de temps en général — ne peut décrire adéquatement la structure de la trace. Et déconstruire la simplicité de la présence ne revient pas seulement à tenir compte des horizons de présence potentielle, voire d'une « dialectique » de la protention et de la rétention qu'on installerait au cœur du présent au lieu de l'en entourer. Il ne s'agit donc pas de compliquer la structure du temps tout en lui conservant son homogénéité et sa successivité fondamentales, en montrant par exemple que le présent passé et le présent futur constituent originairement, en la divisant, la forme du présent vivant. Une telle complication, qui est en somme celle-là même que Husserl a décrite, s'en tient, malgré une audacieuse réduction phénoménologique, à l'évidence, à la présence d'un modèle linéaire, objectif et mondain."


Derrida, De la grammatologie, p. 97-98

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