Philippe Sollers, Dora
miércoles, noviembre 12, 2014
«C’est contre le crime d’amour que se font tous les crimes. Facile à vérifier, et pourtant personne ne le dit. Quelle femme étonnante : elle paraît sortir du jardin, ...»
«Il y a un paradis des bouches, ça ne se trouve pas tous les jours, on peut parfois rester des mois ou des années sans trouver ce qu’il faut, pour l’un celle-ci, pour l’autre celui-là ou celle-là, surprise de la chance. On joue à la roulette sensible, et parfois les dés tombent, la boule s’arrête, c’est là. On reste comme ça, nus, par terre. On a douze ans. Tous les amoureux ont douze ans, d’où la fureur des adultes. Son rire commence à se distinguer pour moi de tous les autres, je n’ai jamais entendu quelqu’un rire comme ça, d’une seule coulée, cascade de gorge venant de derrière la tête, un rire de dos, retourné, de profil, du bas et du haut, un vrai rire de joie sans raison, un rire pour être présente, simplement, et que tout le reste s’en aille. Est-ce qu’elle va jouir, maintenant ? Oui, avant moi, c’est bien. Je lui demande pour moi ? Oui dans les yeux : c’est bien.»
«La vraie passion est gratuité et repos, facilité à s’arrêter, à se taire, dormir, disparaître.»
«Des comptes avec elle ? Pas de comptes. C’est là, d’ailleurs, qu’il faut y regarder de près, que les soupçons les plus virulents s’imposent. Le Diable veut que tout s’accomplisse par intérêt, bassesse ou calcul. Il souffre, il vomit, le Diable, s’il pressent que ce n’est pas le cas. C’est beau de le voir se raidir, se recroqueviller, fouiller, espionner, calomnier, s’agiter, baver, essayer encore et encore de prouver le contraire. Diviser, régner, séparer. Aucune évidence ne l’impressionne, rien ne le convainc. Le Diable a appris son catéchisme : chaque chose et chaque individu a son prix, tout doit pouvoir s’acheter ou se vendre. J’ai dit « le Diable » ? Avec une majuscule ? C’est idiot ? Tant pis. Le Diable existe, je l’ai rencontré cent fois en personne. Dieu, c’est moins sûr, une tendance, peut-être, dérobée, flashée. Le Diable est policier, et Dieu clandestin : c’est drôle.»
«J’étais d’autant plus d’accord que j’étais en train de vivre, avec Dora, une expérience où tout s’enchaînait magnétiquement d’un moment sur l’autre.»
«On était en pleine gratuité heureuse, en pleine vie pour rien. Je devinais qu’elle avait pris ses distances avec ses surveillants et ses surveillantes, elle s’isolait pour téléphoner, revenait préoccupée, riait vite. On marchait beaucoup sans s’en apercevoir. Faire l’amour, écouter de la musique, lire, écrire, dormir, et puis encore dormir, ne rien faire, marcher, et encore l’amour et dormir, et puis musique et peinture et dormir, et les rues, les canaux, les cafés, et l’île de la Cité, dans Paris, point aimanté, point fixe, et les séances dans la petite Austin, la buée sur le pare-brise, les doigts écrivant leurs déclarations de buée,...»
«Je rentrais tard à la campagne, Dora dormait depuis longtemps sur le côté droit, je me glissais près d’elle, on faisait l’amour comme ça, de près, à la paresseuse, les gémissements du demi-sommeil sont les plus beaux, et puis le repos mêlé des bras et des jambes. Le jour montait, elle était déjà baignée, habillée, on petitdéjeunait dans la cuisine, citron pressé, thé pour elle, café pour moi, elle partait avec ses dossiers, je restais seul dans la grande maison silencieuse, je m’installais dans la bibliothèque.»
Philippe Sollers
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