Philippe Sollers, L`amour, le nez

jueves, noviembre 13, 2014


«Les affaires de désir ont lieu dans le nez : buée, fumée, rosée, ondes, particules, répulsions ou attractions invisibles, odeurs en creux, narines et limaille d’air. Ne vous obstinez pas à nier le nez, il a été le premier à exister dans le ventre de la nature, il est plus ancien que tous les tissus, c’est un organe sacré. Ô enrhumés du cœur, du sentiment, des idées, entendez mon discours. Mouchez vous ! Débouchez-vous ! Sentez ! Décidez ! Tranchez ! Éloignez-vous ou rapprochez-vous, mais plus d’échappatoires, de raisonnements spécieux, de pseudomobiles !

« Je ne peux pas le sentir. » « Je la sens bien. » « Je me sens mal ou je me sens bien. » Ah oui, il faut l’avouer, c’est la jungle. D’où les tests de proxi. L’aveu de nez doit précéder les relations humaines. Exemple : « Je ne vous sens pas du tout, mais nous allons faire comme si. » Ou bien : « Inutile d’insister, je vous ai dans le nez. » Ou encore : « Ce n’est pas la peine de dissimuler : les jugements de nez sont toujours réciproques. » Ou encore : « Vous avez raison, mais mon nez me dit que vous avez tort. Vous avez donc tort. »

— Votre nez ne vous trompe jamais ?

— Jamais.

— Pas une seule fois ?

— Pas une seule. Parfois, on ne fait pas attention, on préfère oublier. Comme l’a dit quelqu’un : méfiez-vous de votre première impression de nez, c’est la bonne. Le coup d’œil est souvent trompeur, pas le coup de nez. N’ayez pas peur de reconnaître franchement les conclusions de votre olfaction. Cela évitera bien des massacres, des controverses et des conversations inutiles, des vies ruinées par l’ennui, l’asphyxie, l’envie. Je ne connais pas d’autre grâce que celle d’être nez. Un esprit impartial la trouve complète. On ne passe pas au-delà du nez. Le monde est mené par le nez, le Bulbe. Autant en convenir et cesser de mentir.

« Tu me sens ? Bien ? » Autrement dit, de moi à Dora, d’emblée : « Ma peau te convient ? Mon odeur ? Mon sexe ? Dimension ? Sensation interne et externe ? Allons, tant mieux, poursuivons. Sinon, passons. »»

Philippe Sollers

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