Introduction a la théorie mimétique
viernes, abril 03, 2015
«Nous n'imitons pas tant des représentations mais des intentions, des désirs.
Les enfants comprennent donc les intentions des adultes, même sices derniers n'arrivent pas à les accomplir. Ils imitent ce que les chercheurs voulaient faire plus que ce qu'ils faisaient concrètement.
Il semble donc que les enfants n'attribuent pas d'intention à des objets inanimés.
Giacomo Rizzolati les neurones miroirs (mirror neurons) « goal-directed theory of imitation »
Les neurones miroirs et l’intention.
L'observateur anticipe les actes successifs possibles auxquels cet acte est enchaîné.
G. Rizzollatti conclue ainsi : « dès que nous voyons quelqu’un accomplir un acte ou une chaine d’actes, qu’il le veuille ou non, ses mouvements acquièrent pour nous une signification immédiate ; naturellement l’inverse est aussi vrai : chacune de nos actions revêt une signification immédiate pour celui qui l’observe.
Le système des neurones miroirs et la sélectivité de leurs réponses déterminent ainsi un espace d’actions partagées, à l’intérieur duquel chaque acte et chaque chaine d’actes, les nôtres et ceux d’autrui, apparaissent immédiatement inscrits et compris, sans que
cela requière aucune opération de connaissance explicite ou délibérée ». (Rizzolatti, 2006, p143)
Il cite alors Merleau-Ponty : « La compréhension des gestes s’obtient par la réciprocité de mes intentions et des gestes d’autrui, de mes gestes et des intentions lisibles dans la conduite d’autrui. Tout se passe comme si l’intention d’autrui habitait mon corps ou comme si mes intentions habitaient le sien. » (Merleau-Ponty, 1945, p161)
Selon ce dernier, l’apprentissage par imitation serait dû à l’intégration de deux processus distincts. Le premier permettrait à l’observateur de « segmenter l’action qu’il doit imiter en éléments particuliers qui la composent ». C'est-à-dire à décomposer cette action complexe et nouvelle en un enchainement d’actions simples appartenant à son patrimoine moteur. Le second processus permettant lui de combiner les actes moteurs identifiés et codés afin d’accomplir la séquence motrice à imiter.
Rizzolatti suggère que les phénomènes d’échopraxie que l’on peut observer chez des patients présentant de vastes lésions du lobe frontal sont des arguments à ce modèle. Ces patients ne peuvent s’empêcher de reproduire les mouvements exercés par une autre personne. Cette imitation se produisant compulsivement et immédiatement comme s’il s’agissait d’un réflexe.
La découverte de neurones miroirs a donné un appui à cette
théorie de l’origine gestuelle de la parole.
Ces neurones créent un lien direct entre l’émetteur du message et le receveur. Grâce au mécanisme miroir, les actions exécutées par un sujet deviennent des messages qui sont compris par un observateur,
sans médiation cognitive.
La compréhension est inhérente à l’organisation neuronale des deux individus. Il est évident que le mécanisme miroir n’explique pas par lui-même l’extrême complexité de la parole.
Les neurones miroirs et l’empathie.
L’empathie est la « capacité à partager et comprendre les états émotionnels et affectifs des autres le partage des émotions.
Certaines études ont montré que le gyrus frontal inférieur (région homologue du cortex prémoteur ventral chez le singe où ces neurones ont été découverts) s’active en réaction à une émotion.
Certains ont voulu y voir le fait que
les neurones miroirs participent à la perception des émotions
chez l’homme. Ce résultat repose sur le raisonnement suivant :
puisque cette région est activée par les émotions et que des neurones miroirs ont été localisés dans cette région, alors le système des neurones miroirs est impliqué dans la détection des émotions.
Autisme et imitation.
L‛autisme et les troubles de l’imitation.
Puis en s’appuyant sur plusieurs études elle tente de montrer que le déficit imitatif n’est pas spécifique à l’autisme mais qu’il peut se retrouver dans une catégorie plus large de trouble du langage. De plus, une étude de 2007 sur des enfants autistes a retrouvé « des performances normales dans une série de cinq taches simples qui devaient mettre en jeu le système neuronal miroir. (Hamilton, 2007) Peut-être ces enfants sont-ils particulièrement sélectifs dans ce qu’ils imitent ? (Nadel, 2011, p.99)
La conception mimétique élimine toute conscience et même tout désir réel du parricide et de l’inceste.La différence fondamentale étant que l’ambivalence renvoie à un sujet isolé, le sujet philosophique traditionnel, tandis que le modèle-obstacle s’inscrit dans une dynamique systémique, le rapport en double contrainte de la triangulation considère qu’il y a implantation du sexuel chez l’enfant par les messages énigmatiques de la mère qui est ainsi « l’objet source ».
De la triangulation mimétique à la psychopathologie : la répétition.
« Si le père est à l’origine du double bind, la fascination mimétique gardera pendant toute l’existence du sujet une coloration paternelle. Chez l’individu comme dans le groupe, la fascination mimétique va toujours s’exaspérant ; elle tend toujours à reproduire ses formes initiales, toujours, en d’autres termes, elle cherche de nouveaux modèles – de nouveaux obstacles – à la ressemblance du premier. Si le premier modèle est le père, le sujet choisira ses nouveaux modèles à la ressemblance du père » [Girard, 1972, p524]
Au cours du temps, toute personne se fait sa propre expérience de son désir et des ses conditions d’émergence et de renforcement. « Le désir s’observe lui même ». Plus le désir se heurte à un obstacle infranchissable, plus il s’exaspère, se renforce et plus l’objet du désir se voit investi d’une valeur illusoire. Cette « valeur » de l’objet croit avec la « grandeur » de l’obstacle. De plus, le sujet peut avoir fait l’expérience de la désillusion s’il accède finalement à l’objet désiré ; il peut donc par la suite avoir intérêt à s’empêcher de surmonter l’obstacle ou à en choisir d’insurmontables. « Le prétendu masochiste ressemble à un général qui aurait déjà perdu une bataille et qui en serait si humilié qu’il ne voudrait plus s’engager désormais que pour réparer cette défaite ; il en chercherait donc à reproduire les mêmes conditions ou des conditions plus défavorables encore, dans ses campagnes ultérieures. Il ne s’agit pas pour lui de perdre à nouveau mais de gagner la seule bataille qui vaille vraiment la peine d’être gagnée, celle qu’il a déjà perdue. Il fait donc tout pour retrouver les partenaires et reproduire les circonstances de la défaite antérieure. Le triomphe auquel il aspire ne peut plus se concevoir que dans le cadre de cette défaite, et en quelque sorte dans son prolongement. Ce ne sera donc pas une victoire, probablement, qui va s’inscrire à la suite de la première défaite, mais toujours de nouvelles défaites, ce qui conduit les observateurs superficiels à conclure que la défaite est le véritable objet de cette recherche ». (Girard, 1978, part. 3, chap. 3).
« Apres avoir transformé les modèles en obstacles, le désir mimétique en somme, transforme les obstacles en modèles. Parce qu’il s’observe lui même, il prend note de la transformation et ne voulant pas faire de ce qu’il vient d’apprendre le seul usage qui s’impose, il en fait le seul autre usage possible, il fait de ce qui n’était d’abord que le résultat inévitable, certes, mais inattendu, des désirs passés, la condition préalable de tout désir futur. » (Girard, 1978, part. 3, chap. 3)
Confronté à l’obstacle et à l’échec, le désir au lieu de s’en détourner et de partir à la recherche d’un autre médiateur (qui soit plus modèle que rival) va au contraire avoir tendance à s’y fixer.
Mais avant cela, nous proposons d’intégrer à la théorie mimétique le concept d’attachement développé par Bowlbi.
Les réponses de l'entourage au comportement de l'enfant guident le développement de shemes d'attachement (des modèles opérationnels de l'environnement et de l'organisme construits et élaborés par l'enfant) ; ceux-ci seront à leur tour la base de la mise en place des modèles internes opérants qui régiront les sentiments, pensées et attentes des individus par rapport à leurs relations une hiérarchisation des figures d'attachement.
Ainsworth identifia trois types d'attachements, ou schèmes, qu'un enfant peut adopter envers une figure d'attachement : sécure, anxieux-évitant (insécure), et anxieux-ambivalent ou résistant (insécure).
Des recherches ultérieures menées par Mary Main et ses collègues à l'Université de Californie à Berkeley ont permis d'identifier un quatrième schème d'attachement, appelé attachement désorganisé/désorienté.
Théorie de l’attachement et théorie mimétique.
« Derrière la demande d’être soit se cache le
désir d’être l’autre ». (Betbeze, 2005
Nous avons vu aussi au début de cette thèse que lors
des emballements mimétiques l’objet du désir avait
tendance à « disparaitre » pour ne laisser place qu’à
la seule rivalité. Cette « crise » coïncide avec
une indifférenciation du système et donc avec
l’émergence des « doubles ».
Le sujet et le médiateur se confondent alors. Le sujet prend donc l’apparence de l’obstacle. Et lorsque dans le cas de figure où l’obstacle et l’objet ne faisait préalablement qu’un, la logique des doubles s’emballe de plus belle. Le sujet désire alors ce qui lui ressemble, son semblable, son propre sexe, le masochiste se fait sadique et le sadique masochiste. Le pervers est dans un même temps sujet, objet et obstacle au désir. Il le suscite, le focalise et le combat dans un jeu qui tend à s’exacerber en « crise » et donc à se résoudre en « sacrifice ». (Girard, 1978, part 3, chap. 3)
D’une certaine façon, pour le pervers, « l’autre » n’existe qu’en tant qu’obstacle générateur de désir, pour le pervers, « l’autre ».
La gnose est une contestation permanente de la Loi, sans recours à la médiation.
Une mère qui dans son histoire s’est construite autour de médiateurs obstacles, peut avoir plus tard tendance à positionner son enfant comme rival. Dans cette logique, faire de son enfant un rival, c’est entretenir des liens et du désir, mais c’est aussi placer son enfant dans un monde d’obstacle.
La relation fusionnelle avec la mère sont des exemples d’évitement de la rivalité.
« En exacerbant l’individualisme et la compétition, notre modernité favorise un type de personnalité structuré-déstructuré par la rivalité, cause de phénomènes dysthymiques et maniaco-dépressifs. En effet, le sujet dépendant toujours plus des autres, nous assistons à une oscillation. La phase hypomane correspond au moment où il se vit au-dessus de l’autre, et la phase dépressive au moment où il se vit en dessous de l’autre, inférieur à l’autre qui sort vainqueur de la relation rivalitaire ». (Betbeze, 2005)
Nous sommes devenus de purs individus, au sens où aucune loi morale ni aucune tradition ne nous indique du dehors qui nous devons être et comment nous devons nous conduire. […]
Le partage entre le permis et le défendu décline au profit d'un déchirement entre le possible et l'impossible »
Les individus sont en quelque sorte « invitées » à se concurrencer les uns les autres ce qui a pour résultat de produire deux phénomènes délétères :
Premièrement : l'emballement des rivalités et deuxièmement: l'injonction à se distinguer.
S'individualiser c'est en fait paradoxalement toujours plus se rapprocher du modèle rival.
L'épuisement du désir dans la multiplication sans fin des « objets à désirer ». Ce « vide » c'est l'affaiblissement de notre moi dans la multiplicité croissante des médiateurs.
Dans une dynamique rivalitaire, les protagonistes tendent à se ressembler jusqu’au stade de l’indifférenciation totale (la genèse des doubles).
« Une fois que la structure de la rivalité mimétique commence à influencer le facteur sexuel, il n’y a pas de raison de s’arrêter en si bon chemin, et le plaisir érotique peut fort bien se détacher entièrement de l’objet pour s’attacher au seul rival ». (Girard, 1978, livre 3, chap. 3)
L’exacerbation mimétique est telle que les protagonistes jouent simultanément tous les rôles.
« Dans la description dostoïevskienne, le sujet ne se donne pas un modèle une fois pour toutes, et le modèle ne lui désigne pas un objet une fois pour toute.
Pour que l’objet désigné conserve la valeur qui lui vient du modèle, il faut que celui-ci continue à le valoriser, en ne cessant pas de le désirer. Si Troussotski attire follement Veltchaninov chez sa fiancée, ce n’est pas pour que celui-ci en fasse la conquête mais c’est pour qu’il la désire et que, ce faisant, il entérine et ratifie en quelque sorte le choix que Troussotski a fait d’elle. Parce qu’il a triomphé de lui, Troussotski auréole Veltchaninov du prestige « don juanesque » dont il rêve pour lui-même et qui, du fait même de ses échecs perpétuels, se réfugie de plus en plus chez le rival ». (Girard, 1978, partie 3, chap. 3).On peut observer que la fascination que Veltchaninov exerce sur Troussotski prend à certain moment une teinte homosexuelle. Ce dernier embrasse même son rival « sur la bouche ». R. Girard insiste sur le fait que ce désir sexuel pour le rival n’est pas le résultat d’une «homosexualité latente » qui prendrait sa source dans l’inconscient mais prend plutôt son origine dans la fixation (fascination) du sujet pour son rival.
« La sexualité, en effet, est subordonnée à la rivalité. Et plus le sujet croit se battre pour lui-même, dans la rivalité mimétique, plus en réalité il se soumet à l’autre ».
Comme nous l’avons vu précédemment, lorsque la mimésis s’exacerbe l’objet du désir tend à disparaitre pour ne laisser place qu’à la seule rivalité. Cette dernière, loin de différencier les antagonistes, les poussent au contraire à toujours plus se ressembler. C’est l’indifférenciation de la crise. A ce stade il est facile d’imaginer que le désir pour l’objet puisse se déplacer sur l’obstacle. Et lorsque le désir s’exerce dans le champ de la sexualité, le rival peut alors devenir un objet de désir sexuel.
« Si nous situons ce jeu-là, qui n’est jamais qu’un jeu d’absorption mimétique, dans le domaine de la rivalité amoureuse, il est évident que le joueur va toujours répéter dans son existence les conditions susceptibles de produire toujours plus de jalousie et toujours plus de « masochisme ». Il suffit pour cela de se laisser fasciner par le rival le plus redoutable. Ce sont nécessairement alors des conditions favorables à un déplacement vers le rival de l’intérêt (…) sexuel… ».
« Pour ramener tous les symptômes à l’unité que
suggère leur conjonction, il faut mettre l’accent
non sur la sexualité proprement dite mais sur le
mimétisme de rivalité. Seul ce mimétisme peut
rendre cette conjonction intelligible car il n’a
qu’à s’exaspérer pour qu’apparaissent simultanément
des « symptomes » qui sont effectivement indissociables,
leur diversité étant illusoire… ». (Girard, 1978, part. 3, chap. 3).
L’imitation : une « force » qui structure le sujet posons l'hypothèse que les sciences humaines n’existent que par un principe unique, la mimesis universelle. En psychologie et en sociologie, la manifestation la plus fondamentale est la plus élémentaire de ce principe et la force d'attraction des êtres humains les uns envers les autres, qui détermine l'intérêt qu'ils se portent mutuellement. » (Jean-Michel Oughourlian)
Jean-Michel Oughourlian insiste donc sur le caractère polymorphique
de la mimesis et de ses manifestations. Il propose de la décomposer
en trois dimensions :
-Dans l'espace, la mimesis est imitation.
-Dans le temps, la mimesis est répétition.
-Dans l'espèce (humaine), la mimesis est reproduction.
C'est la dimension temporelle de la mimesis, qui va
permettre l'émergence de la mémoire ainsi que de
toutes les re-présentations (le langage, les apprentissages
et les conditionnements…) C'est elle qui introduit le petit
humain à la temporalité.
« Il est clair que si la mimesis ne complétait pas rapidement sa dimension spatiale par sa dimension temporelle, il n'y aurait pas d'ontogenèse. Si le rapport à l'autre se cantonnait dans une relation spatiale, c'est-à-dire fusionnelle, imaginaire, il n'y aurait pas de langage et pas d'identités […]. C'est la mémoire qui assurel'ontogenèse en tenant le sujet ensemble au cours de son histoire.
C'est le langage qui tient les sujets séparés, écartées, et assure la formation de ce qu'on peut appeler un moi, une identité. » (Jean-Michel Oughourlian)
Précocité qui semble montrer que la tendance à l'imitation est un processus mécanique, automatique et non pas symbolique.
Jean-Michel Oughourlian insiste donc sur le fait que la mimesis précède et engendre le sens et la fonction symbolique, elle n'en est pas le résultat mais la condition. Ce n'est que bien plus tard que l'enfant découvrira la valeur affective, relationnelle et culturelles de la reproduction du signe ou du geste. Ses conclusions rejoignent celle de Scott R. Garrels.
La mimesis d'appropriation.
En s'appuyant sur les travaux de René Girard, Jean-Michel Oughourlian va définir le désir comme étant un mouvement se portant vers l'avoir du sujet imité.
C'est ce que René Girard nomme la mimesis d'appropriation. Jean-Michel Oughourlian définit donc le désir comme la résultante d'une séquence qu'il décompose ainsi : le sujet porte son attention sur un modèle ; en imitant le paraître de ce modèle, il va indirectement porter son attention sur l'avoir du modèle c'est-à-dire sur ce que le modèle a ou convoite. Le premier mouvement (mimesis du paraître) attire le sujet vers le modèle ;
un deuxième mouvement est ainsi engendré qui éloigne le sujet du modèle pour le porter vers l'avoir de ce dernier. Nous retrouvons donc la triangulation du désir défini par René Girard «sujet-médiateur-objet ». Nous ne reviendrons pas sur ce système que nous avons déjà longuement exploré.
Le moi : un « oubli ».
Selon Jean-Michel Oughourlian, le moi pour s'édifier nécessite une troisième forme d'imitation, celle qui porte sur l'être même du modèle. Cette imitation, qui porte sur l'être et qui achève « d'ontologiser » le moi, est similaire selon lui à ce que Freud a appelé «l'identification».
Nous avons vu dans les théories girardiennes que le mécanisme qui met fin à la violence indifférenciée, issu de la mimesis d'appropriation était le mécanisme victimaire. Chez le jeune enfant, l'emballement de la rivalité avec son modèle (parent) ne peut bien évidemment pas se traduire par la mort réelle de ce dernier. Cette mort sera donc « psychologique ». Par le jeu de l'identification l'enfant s'appropriera donc l'être même du modèle.
Jean-Michel Oughourlian défend donc la thèse de la primauté
du désir sur le moi. Le désir est à l'origine du moi et non l'inverse.
«Le moi est donc, en fait, le moi-du-désir ». Il se façonne dans le rapport mimétique à l'autre qu'il nomme rapport interdividuel. Cette hypothèse est en contradiction avec les courants psychologiques qui postulent « que le sujet est une entité psychologique limitée et indépendante et que le mouvement psychologique prend naissance à l'intérieur même de
cette entité ».
Il précise que ce moi ainsi engendré par le désir,
ne peut maintenir son existence dans le temps
qu'à la faveur de deux « oublis » que l'auteur nomme
aussi «méconnaissances » et qui peuvent s'exacerber
en « déni » ou «revendications » :
-L'oubli de l'origine autre du désir, de son exogénéité.
Ce qui conduit le moi à revendiquer son désir comme le sien.
-L'oubli de l'autre désir, de son altérité. Ce qui conduit le moi
à revendiquer son désir comme le premier.
La « méconnaissance / oubli » est un processus qu’il décrit comme
physiologique et fonctionnel ; l'autre est alors pris pour modèle.
La « revendication / déni » est assimilée à un processus pathologique ou
l'autre est alors pris pour obstacle.
Tout en précisant que cette méconnaissance est toujours méconnaissance de la réalité des faits, c'est-à-dire du mimétisme qui est un phénomène objectif. Il distingue donc cette méconnaissance de l'inconscient psychanalytique qui est fondamentalement subjectif.
Nous venons de voir que J. M. Oughourlian distingue
son concept de «méconnaissance» de celui «d’inconscient».
Il défend l’hypothèse selon laquelle « l’inconscient »
est le mot que la psychologie analytique a donné au
résultat du rapport mimétique sur l’individu sans en
prendre en compte la dimension relationnelle.
En réalité, nous avons vu précédemment que certains
courants analytiques tenaient compte de cette dimension. (Laplanche, 1997).
La suggestion est un mimétisme non reconnu par le sujet.
Lorsque le mimétisme est reconnu (conscient),
il est nommé imitation.
« Pourquoi la culture tient-elle à protéger le secret du rapport
mimétique ?
Parce que le désir mimétique est dédifférenciateur,
parce qu’à ce titre il ronge les structures établies et
que l’indifférenciation est source de violence aveugle
et de destruction.
« Si, en effet, le désir est mien, alors chaque individu est propriétaire de son propre désir, et chaque désir est original, différent de tout les autres. La culture voit dans cette lecture de la réalité psychologique une garantie d’ordre et de stabilité sociale. Si, au contraire, le désir est mimétique,il n’est pas mien, il est copié sur celui de l’autre.
Aucune personne n’est plus propriétaire de son propre désir, tous les désirs sont contagieux et risquent fort d’être identiques : le Même guette et le Différence est en péril. Une telle révélation apparait au religieux, comme au culturel, dangereuse et source de désordre, possibilité d’indifférenciation radicale qui pourrait démystifier le sacré et déchainer la violence. » (J. M. Oughourlian, 1982, p. 193).
La culture ne peut pas nier le fait que « l’autre » existe en toute personne ; elle va donc lui donner d’autres noms : diable, sexe, inconscient.
Il insiste sur le fait que la « possession démoniaque » est une représentation du rapport mimétique.
Le Diable c’est l’Autre ; c’est le médiateur,
l’origine de l’emballement mimétique.
Le nommer «Diable» est un moyen efficace
de le différencier et ainsi de préparer
son expulsion sacrificielle.
Le Diable est un mythe de l’ambivalence du statut victimaire.
Il permet ainsi de répondre aux attentes de la société
en situant l’Autre en dehors de celle-ci. En dissimulant
l’Autre à l’intérieur du sujet, sous forme d’inconscient,
Freud lui conserve son anonymat et le protège. Il ne
révélera jamais de lui même que ce qu’il voudra bien
révéler ! Ainsi l’Autre, après avoir été le Sexe
(Autre intra-physique) puis le Démon (Autre extérieur),
devient l’Inconscient (Autre intra-psychique) ».
(J. M. Oughourlian, 1982, p.194).
La genèse mimétique du concept d’inconscient.
A la même époque, Bernheim, chef de « l’école de Nancy » rivale de
« l’école de la Salpetrière », propose au contraire de voir la suggestibilité comme un phénomène normal et général.
Revendiquer son désir comme antérieur à ceux des autres (qu’ils soient des personnes ou des modèles socio-culturels), c’est faire de ces derniers des rivaux.
Nous rappelons qu’il nomme « identification » le processus par lequel le sujet va accepter la réalité du rapport mimétique. Lorsque le sujet s’identifie au médiateur, il le reconnait en tant que modèle plutôt qu’en tant que rival.
• L’évolution peut se faire dans le sens de la psychose, avec affirmation de l’antériorité du désir et de l’être du malade par rapport au désir et à l’être du modèle. L’imitateur se déclarera copié, le suiveur suivi.
L’identification ne se fera pas mais l’identité s’imposera dans la structure psychotique, structure de double. Le récit mythique de cette aventure, ultime tentative d’avoir raison, sera le délire.
• L’évolution peut se faire vers la crise d’hystérie où je pense pouvoir à ce stade distinguer deux mouvements :
Un mouvement de non-identification vers l’autre-modèle.
Par ce mouvement l’hystérique tente de s’approprier le désir
de l’autre sans pour autant le reconnaitre pour source de ce désir ;
l’hystérique abandonne sa propre personnalité sans
pour autant adopter celle de l’autre, sans jamais être
possédé.
Un mouvement vers l’autre-objet, vers l’objet du désir
avec lequel l’hystérique va mimer son rapport de
coalescence, son rapport imaginaire d’amour ou de haine.
D’où les convulsions, les grands mouvements et les attitudes passionnelles.
Ce rapport mimé est en fait une scène qui se déroule entre
l’autre-modèle, nié en tant que modèle (pas d’identification)
mais présent en tant qu’autre (modification de l’état de conscience),
et l’autre-objet, l’objet du désir.
Cela explique l’extraordinaire constatation clinique
faite par d’innombrables auteurs : l’hystérique,
pendant sa crise, est spectateur tout autant qu’acteur.
• L’évolution peut se faire vers l’état mental de l’hystérique :
la dissociation, la tendance à l’hypnoïdie. Une partie seulement de la personnalité de l’hystérique est identifiée à l’autre-modèle, métamorphosée en lui. […]
• Enfin l’évolution peut se faire vers la conversion ». (J. M. Oughourlian, 1982, p.211-214).
Selon Oughourlian, les phénomènes de conversion
sont une façon de mettre en scène la rivalité mimétique.
L’hystérique perçoit qu’elle est agi mais refuse d’admettre
qu’elle l’est par un autre (par un médiateur). La encore
la réalité du rapport mimétique doit être masquée.
Au lieu de dire :
«Que représente la partie du corps isolée, affectée ?»,
il faut dire :
« Qui ce membre ou cet organe représente-ils ? ».
Je pense que cette portion isolée de l’organisme,
cette partie du corps altérisée représente :
- Soit l’autre si elle joue le rôle de responsable du trouble
ou de la maladie : utérus, estomac, cerveau, foie, etc.
- Soit le moi, l’hystérique lui-même, si elle joue le rôle de la victime, subissant passivement une action mystérieuse mais étrangère à elle même : anesthésies, paralysies, contractures…
Cette approche repose avant tout sur une hypothèse fondamentale :
La pathologie psychiatrique selon lui découle de la non-
reconnaissance par le sujet d’un rapport mimétique de
rivalité (c'est-à-dire de médiation-obstacle).
Lorsque cette rivalité porte sur l’être du médiateur, les manifestations cliniques seront plutôt d’ordre psychotique
et lorsque la rivalité porte sur le paraître ou l’avoir du médiateur,
la symptomatologie sera plutôt du registre névrotique.
Le symptôme est une représentation de ce conflit.
La Culture tend à favoriser la non-reconnaissance de l’origine mimétique du trouble parce qu’elle se doit de préserver ses mythes. Les mythes ont pour objet de masquer les rapports mimétiques afin maintenir opérant les mécanismes de résolution sacrificielle. Révéler la réalité mimétique, c’est en effet s’empêcher de pouvoir choisir un bouc émissaire.
L’hystérique en mettant en scène la rivalité menace d’en mettre à jour l’origine mimétique.
THEORIE MIMETIQUE ET PSYCHOSE.
Le concept de psychose naissante selon H. Grivois.
Le caractère transitoire et bref de ce trouble associé
au vécu proprement indicible du patient.
H. Grivois décrit alors un état clinique qu’il nomme
« psychose naissante » et dont le symptôme principal
est le « concernement généralisé ». Il emprunte le
terme de « concernement » à un ouvrage de Jean
Starobinski sur Rousseau, la Transparence et
l’Obstacle. (Grivois, 2012).
La psychose naissante caractérise ces patients qui
font une entré dans la psychose, souvent schizophrénique,
mais qui en sont à un stade si précoce que
le délire n’a pas encore éclot. « Ils ne sont pas
désorientés, ils savent qu’ils ont affaire à des
médecins. Ils ne sont pas confus etc’est
fondamental. L’examen médical et neurologique
–motricité, sensibilité, perception- se révèle normal.
Le langage, la mémoire, le raisonnement, le jugement
moral, en un mot rien de ce qui relève des fonctions
cognitives n’est atteint. Des recherches paramédicales
en particulier toxicologiques sont pratiquées. »
(Grivois, 2012, p 109).
Le tableau clinique se présente ainsi : (Grivois, 1992)
- mutisme.
- Incapacité de raconter l’expérience.
- Imprévisibilité.
- Abandon de toute recherche d’aide auprès de qui que ce soit.
- Sentiment d’un mouvement inexorable et universel des hommes.
- Sentiment de jouer un rôle majeur.
- Instabilité émotive.
Lorsque le phénomène s’amplifie, il se généralise
à tous les hommes et provoque un vécu de réciprocité.
Le malade a donc alors l’impression qu’il imite tout
le monde et que dans le même temps tout le monde
l’imite, qu’il est à l’origine de tout, qu’il agit tout et
vice et versa. Cette description est très proche de
celle de l’automatisme mental et du syndrome
d’influence.
« Grivois nous donne à voir comme ses sujets sont
fascinés par les synchronies et les similitudes entre
les êtres, mais semble manquer l’idée centrale selon
laquelle la « contagion » comportementale n’est
perceptible que si l’on n’y échappe ».
(Giordana, 2008, p 120).
C’est donc parce qu’un sujet ne parvient pas
à se «synchroniser» avec son entourage qu’il
perçoit le fonctionnement mimétique de ce dernier.
Nous avons en effet vu précédemment que le
caractère rivalitaire d’une relation échappe
précisément à ceux qui sont pris
dedans la théorie mimétique.»
Extraits de Ludovic MACABEO, APPORTS DE LA THEORIE MIMETIQUE A LA PSYCHOPATHOLOGIE.
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