Kirilov proclame sa volonté suicidaire comme le seul acte libre face à la impitoyable loi de la mort
domingo, abril 12, 2015
«Le véritable héros des Démons, ce n’est pas Verkhovensky, ce n’est pas Stavroguine, c’est le grand,
l’énigmatique « stylite » Kirilov.
Cet homme qui bégaie, qui semble s’arracher les mots de la gorge,
qui ne fait rien et ne veut rien faire
— c’est lui qui est l’âme de ce roman.
L’épisode de Kirilov peut être considéré comme un des chefs-d’œuvre de la littérature universelle par la puissance avec laquelle y transparaît ce qu’on nomme l’ « inexprimable ».
Kirilov « proclame sa propre volonté » !
Mais c’est en cela justement que consiste depuis les temps les plus anciens l’œuvre des stylites, des ascètes : proclamer sa volonté et, au milieu des humains qui se démènent et se démènent légalement, car seuls les morts ne se démènent pas dans la grotte — s’arrêter et se poser enfin la question : est-ce que vraiment notre univers humain, cet univers auquel la raison a dicté ses lois, cet univers qu’a construit l’expérience collective, cet univers est-il le seul possible, et la raison et ses lois sont-elles toutes puissantes ? On ne pourrait faire qu’un reproche à Dostoïevsky : Kirilov finit par se suicider.
C’est une erreur : les stylites, les ascètes n’ont pas besoin du suicide.
Ils ont d’autres moyens de proclamer leur liberté. Mais il semble que cette erreur soit volontaire, que Dostoïevsky ait fait sciemment agir Kirilov autrement qu’il aurait dû. Si Dostoïevsky n’avait pas imaginé cette fin, il aurait été obligé d’ajouter une note pareille à celle qui précède la Voix souterraine.»
Léon CHESTOV · Les révélations de la mort.
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