Derrida "Le poète protège le désert qui protège sa parole qui ne peut parler que dans le désert"
domingo, enero 12, 2014
"Le poète — ou le Juif — protège le désert qui protège
sa parole qui ne peut parler que dans le désert;
qui protège son écriture qui ne peut sillonner que le désert. C'est-à-dire en inventant,
seule, un chemin introuvable et inassigné dont aucune résolution cartésienne
ne peut nous assurer la droite ligne et l'issue."
"Absence de l'écrivain aussi.
Écrire, c'est se retirer.
Non pas dans sa tente pour écrire, mais de son écriture même.
S'échouer loin de son langage, l'émanciper ou le désemparer,
le laisser cheminer seul et démuni. Laisser la parole.
Être poète, c'est savoir laisser la parole. La laisser parler toute seule,
ce qu'elle ne peut faire que dans l'écrit.
(Comme le dit le Phèdre, l'écrit, privé de « l'assistance de son père »
« s'en va tout seul », aveugle, « rouler de droite et de gauche »
« indifféremment auprès de ceux qui s'y connaissent et, pareillement,
auprès de ceux dont ce n'est point l'affaire » ;
errant, perdu parce qu'il est écrit non sur le sable, cette fois, mais,
ce qui revient au même, « sur l'eau », dit Platon qui ne croit pas,
non plus, aux « jardins d'écriture » et à ceux qui veulent ensemencer
en se servant d'un roseau).
Laisser l'écriture, c'est n'être là que pour lui laisser le passage,
pour être l'élément diaphane de sa procession : tout et rien.
Au regard de l'œuvre, l'écrivain est à la fois tout et rien."
JACQUES DERRIDA L'écriture et la différence
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