Derrida Le texte La greffe textuelle
martes, enero 07, 2014"Dans son introduction à Jacques Derrida, Marc Goldschmit note que la
notion du texte peut être une voie d’accès à la pensée de l’auteur. Il explique
en effet que dans « le labyrinthe de la pensée de Derrida, le concept de « Texte »,
le problème des frontières et des limites du texte peuvent constituer un fil d’Ariane
pour la lecture». Ce qui marque lorsqu’on s’arrête sur la notion de texte chez
Derrida, c’est la tournure qu’il fait prendre à celui-ci. Comme le remarque
Goldschmit,
« Derrida repense et subvertit radicalement le concept de texte et l’idée de
textualité, bouleversant par là nos pratiques les plus traditionnelles de lecture
et de pensée». En quoi Derrida bouleverse-t-il notre conception traditionnelle
du texte ? En élargissant les limites de celui-ci qui devient ainsi un texte général
selon le principe que tout est texte et que « tout dans ce texte est généralisé en
somme». « tout ce qui est est dans le texte texte», « Il n’y a pas de hors».
Dans La dissémination, Derrida définit d’abord le texte comme une texture. IL
entend par là, conformément à l’étymologie du mot, tissu, toile. Il ajoute toile
de toile.
Le texte est un tissu qui peut mettre des siècles à dérouler sa toile
se régénérant sans cesse derrière le geste de lecture qui tente de la suspendre.
Outre le fait que le texte soit un tissu qui déroule infiniment l’étendue de sa toile,
le texte se donne ensuite comme une « double séance », c’est-à-dire une réalité
formée de deux parties, « dont l’une seulement est visible, lisible pour avoir été
du moins publié». De par le phénomène de « la double séance », le texte est un
« texte à demi-absent » puisque une de ses faces échappe à la visibilité. Mais en
réalité, et c’est la troisième définition que l’on rencontre de façon marquée dans
La dissémination de Jacques Derrida,
le texte est une quadrature, c’est-à-dire un dispositif composé de quatre faces.
Ce qui permet d’identifier ces faces, c’est le temps de leur écriture ou de leur
manifestation.
Trois des quatre côtés du dispositif sont à l’imparfait. Et une des faces est au présent.
Cette face qui s’écrit et se donne à nous au présent, Derrida la nomme la
« surface quatrième ». La surface quatrième c’est « l’ouverture de présence ».
« Ouverture de présence » signifie d’abord
la face du texte tournée vers le regard du lecteur,
« l’ouverture découpée, pratiquée en forme de scène actuellement visible et
parlante pour le spectateur-lecteur». Elle indique ensuite le « surgissement
incessant » de l’unité primitive et mythique qu’est la présence. C’est sur la
surface quatrième que quelque chose de l’ordre de la présence peut jaillir et
se faire jour dans le cadre textuel. La surface quatrième est « cette ouverture,
[…] par laquelle le présent semble se libérer». Cela dit, si la surface quatrième
est le lieu d’apparition, de « présentation » de la présence, pourquoi Derrida
affirme-t-il que
le texte manque de présence et qu’il demeure toujours imperceptible » ?"
"Derrida nous dit qu’un texte n’est un texte que s’il cache au premier venu
la loi de sa composition et la règle de son jeu.
Ce qui signifie que cette règle et cette loi se dissimulent au premier regard
au sens où il n’en a pas conscience. Car la loi et le mouvement du jeu
demeurent imperceptibles pour le lecteur du fait qu’ils manquent à la perception.
S’ils sont imperceptibles et qu’ils manquent à la perception, c’est parce qu’ils
sont irreprésentables disons imprésentables."
"Commençons par la loi de composition du texte. Entendons par là, les
« techniques de son agencement». Parmi lesquelles on note
la technique de la greffe textuelle.
Selon un propos fort de La dissémination,
« Ecrire veut dire greffer». C’est pratiquer une greffe.
Mais cette greffe ne survient pas à quelque chose qui aurait été présent et qui
aurait reçu l’implant d’un texte second. Selon la logique de la greffe il n’y a pas
de « propre » d’une chose ni de « texte original ».
Un texte est toujours déjà un texte de texte.
Sans que quelque réalité échappe à cette logique même pas l’auteur, ni le lecteur,
ou quelques autres instances qui voudraient dire le texte en son dehors sans en
être contaminé.
Tout est greffe et greffe de greffe textuelle.
« Il n’y a rien avant le texte, dit Derrida, il n’y a pas de prétexte qui ne soit un texte».
La loi de la greffe nous met au minimum devant deux textes qui se contaminent
l’un l’autre. « Chaque texte greffé continue d’irradier vers le lieu de son prélèvement,
le transforme en affectant le nouveau terrain». Mais chaque» de texte ne se conçoit
et ne se construit qu’au pluriel. « La transplantation est multiple part en part.
« Elle est d’abord nombreuse ou elle n’est pas». L’implication majeure de cette loi
de greffe textuelle, c’est le caractère régénérant du texte. La greffe ne dépend pas
d’une maîtrise transcendantale ou subjective qui par un procédé de copier coller
la produirait. La greffe appartient à la propension du texte à se régénérer, à se
reproduire derrière le geste qui la coupe. Se régénérant sans cesse, le texte s’écrit.
De lui-même. Il s’explique également… de lui-même. Derrida insiste :
« le texte […], s’écrit et se lit, présente lui-même sa propre lecture, présente
sa propre présentation et fait le décompte de cette opération incessante»."
"Selon ce qui précède le texte est récalcitrant à la présence au sens où non
seulement il s’écrit mais aussi il se lit. Il s’écrit incessamment de lui-même
et déploie les conditions de sa propre lecture. Déployant les conditions de sa
propre lecture,
il fait du lecteur un texte qui s’écrit sous l’impact du texte qu’il pensait lire.
Le texte devant lequel se trouve le lecteur n’est pas un « écrit déjà »
mais un « être-en-train-de » s’écrire qui met en scène le lecteur.
Ce dernier
« Ayant à mettre en scène, il est mis en scène, il se met en scène».
Lecteur écrivant le texte qu’il croit lire,
il peut difficilement choisir sa place, choisir une place, énoncer une présence
quelconque dans cet objet qui ne souffre d’aucune stabilité et qui n’est pas
un fini déjà. L’ « être-en-train-de » qu’est le texte ne s’aplatit pas à la « surface
d’un présent homogène et évident». Et cela est dû pour beaucoup à la structure
même de la surface quatrième."
"« La présence n’est jamais présente».
séminale de la trace, la pratique comptable de la dissémination."
« Le jeu est la disparition de la présence."
Brice Levy Koumba Texte et présence dans La dissémination de Jacques Derrida
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