Dostoyevski
Dostoïevski, «Il est désormais une personnalité démoniaque.» Le relativisme absolu. «Toute sa vie n’est que théorie, son amour pour l’humanité aussi.»
martes, marzo 31, 2015«Qu’on n’accuse personne. C’est moi.»
«Que no acusen a nadie. Soy yo.»
« enfant du doute et de l’incroyance »
«Lui, qui est en pleine crise, qui déconstruit tout, doute de tout, voit surgir en lui des rêves malsains.»
«Dostoïevski a bel et bien connu, comme nombreux de ses personnages, une période de vie placée au-delà du bien et du mal. L’apothéose en sera Les Carnets. Doit-on y voir la peur de l’écrivain face à ce qu’il pourrait devenir ? En tout cas, il est certain que Dostoïevski était lucide quant à la tragédie morale qui le guettait, s’il persistait à évoluer dans ce monde absurde, de relativisme absolu, de néant.»
«Cependant, cette figure de l’assassin altruiste ne satisfaisait pas complètement l’écrivain qui a donc fait le choix d’y superposer celle du théoricien du « droit moral à tuer pour les grands hommes ». Ainsi, la motivation du crime est totalement modifiée. En effet, si
dans la première ébauche, notre héros agissait en tant qu’humanitaire et chrétien,
il est désormais une personnalité démoniaque,
athée , incapable de repentance et de renaissance comme en témoigne les brouillons :
«Comme les hommes sont dégoûtants!
Méritent-ils qu’on se repente devant eux ? Non, non, je me tairai… Mais avec quel mépris!
Que les hommes sont bas, dégoûtants.
Non : les saisir dans ses mains, puis leur faire du bien…
Peut-on les aimer ? Peut-on souffrir pour eux?
Haine envers l’humanité.»
Ainsi, Dostoïevski a fait le choix de conserver cette ambivalence qui fait tout le tragique de l‘âme de Raskolnikov. D’ailleurs dans ses brouillons, D. parle de
"fierté démoniaque",
"fierté diabolique",
"puissance démoniaque",
"orgueil satanique",
"orgueil incommensurable".
Ainsi, cet amour de l’humanité que l’on décèle à de nombreuses reprises dans le roman et pour lesquelles Raskolnikov prétend commettre ce crime,
ne serait qu’un masque pour dissimuler son mépris de l’humanité et son despotisme?
Autrement dit, quelles sont les véritables raisons qui poussent notre héros à ce forfait : la poursuite d’un but élevé, l’argent dérobé servant de tremplin à son œuvre
ou un délire de puissance,
l’athée s’identifiant à Dieu pour rétablir l’ordre du monde?»
«Dès lors, le doute n’est plus permis au lecteur : non seulement
Raskolnikov s’est détaché de Dieu mais il a en outre la volonté de se substituer à lui.
Son athéisme l’a conduit à l’androthéisme.
En effet, Raskolnikov a cru qu’il pouvait se substituer à Dieu pour rectifier les voies de la Providence.
Constatant l’injustice qui règne en ce monde, il en vient à nier l’existence de Dieu qui ne permettrait pas que de telles horreurs puissent se perpétuer.»
«Avec cette théorie, il n’y a donc plus aucune vérité ni aucune morale transcendante puisque certains hommes peuvent y échapper.
Tout est sujet à relativisation
et au jugement que va y porter le grand homme. Raskolnikov, en a lui même fait l’expérience, lui qui a tué parce qu’il se pensait être un d’eux. Lorsqu’il doit remettre, quelques jours après le meurtre, une de ses chaussettes tâchée de sang, il éprouve un sentiment de dégoût profond mais se reprend très vite :
« Ce sont des préjugés, tout est relatif, des habitudes, des apparences, tout simplement. »
Ce relativisme absolu est l’instrument nécessaire à un individualisme rationnel forcené
que prône Raskolnikov.
Chaque homme doit décider en conscience de ses actes
et dans le cas des grands hommes, du sort même de l’humanité.
Le bien et le mal ne sont que des notions sujettes à de perpétuelles évolutions et la conséquence de cela est bien évidemment
l’équivalence entre la pensée et les actes.
Puisque tout n’est que question d’habitudes,
il n’y a qu’un pas à franchir entre l’idée et l’acte, le grand homme se devant de faire le premier pas. En effet, dans cet univers théorique où évolue Raskolnikov,
toute idée pour peu qu’elle soit rationnelle et explicable en devient légitime.
Le "Tu ne tueras point" n’est qu’un principe dont le fondement ne tient pas dès qu’il est passé à l’épreuve du rationalisme.»
«Il a été pris d’un délire de puissance, de la certitude de son droit à assassiner la vieille usurière pour avoir le pouvoir.
D’ailleurs, la lecture par Sonia Marmeladov de la Résurrection de Lazare dans le Nouveau Testament déclenche chez lui une véritable crise de délire : « Que faire ? Rompre une fois pour toutes et accepter la souffrance. Quoi ? tu ne comprends pas ?Tu comprendras plus tard…
La liberté et la puissance, la puissance surtout… la domination sur toutes les créatures tremblantes. Oui, dominer toute la fourmilière…
voilà le but ».
Raskolnikov veut remplacer le Créateur, avoir le droit de vie ou de mort sur ses créatures, au gré de sa volonté.
Il l’avoue lui-même à Sonia : « J’ai voulu tuer, Sonia, sans casuistique, tuer pour moi-même, pour moi seul ». Voilà le vrai visage de Raskolnikov, la dernière facette de notre héros mise à jour : s’il a tué, c’était pour lui, pour se prouver la justesse de son raisonnement, enfin faire valoir son droit de "grand homme".
Il ne s’agissait pas d’un désir, légitime et justifiable, d’apporter le bonheur et instaurer l’âge d’or sur terre.»
«Toute sa vie n’est que théorie,
son amour pour l’humanité aussi.»
«Comme l’homme du sous-sol, le seul exutoire à son ennui est une sensualité libidineuse, une sexualité maladive et malsaine.»
«Aux arguments de Raskolnikov sur la stupidité du sacrifice, l’inutilité de la compassion et sur la fin inévitable de tout, ...»
«Comme lui, elle est maudite :
« N’as-tu pas agi comme moi ?
Toi aussi tu as franchi le pas,
tu as pu le franchir. Tu as porté les mains sur toi, tu as perdu une vie… la tienne il est vrai mais qu’importe ?». Dans ces quatre mots,
Raskolnikov ne fait pas la moindre différence entre donner sa vie pour son prochain et supprimer son prochain.
On pourrait voir dans ses paroles, une méchanceté diabolique,
une soif de domination sur cette créature dévouée aux autres,
déjà prête à lui consacrer sa vie.»
«A son interrogation anxieuse « Que faire ? », Raskolnikov répond par une explosion d’orgueil :
«La liberté et la puissance, la puissance surtout…
La domination sur toutes les créatures tremblantes.
Oui, dominer toute la fourmilière… ».
L’épisode de la résurrection de Lazare a ravivé son désir de puissance :
à la résurrection s’oppose la destruction,
à l’humilité l’ambition,
à l’image du Dieu-Homme la figure de l’Homme-Dieu.»
«Alors, tout est indifférent ; puisque la mort est la loi impitoyable ,
les notions de bien et de mal perdent tout sens.»
«Comme Dostoïevski, Kirilov a été « tourmenté par Dieu toute sa vie ». Son cœur ne peut se passer de Dieu mais son esprit ne peut accepter Dieu. « Dieu est nécessaire, et par conséquent, il doit exister. Mais je sais qu’il n’existe pas et qu’il ne peut exister ». Tel est le tragique dédoublement de sa conscience.»
«En effet, dans les premiers brouillons, Piotr Stepanovitch n’avait absolument pas le rôle de bouffon qu’il va jouer par la suite dans le roman, pour parvenir à ses fins. Il était au contraire chargé d’un puissant bagage idéologique que Dostoïevski a finalement choisi de confier à Chigaliev. Cependant,
il s’agit d’un bouffon démoniaque, à la fois rusé et naïf, intelligent et borné, brutal et hypocrite, cynique et enthousiaste, calculateur et léger.
Il prétend faire le bonheur de l’humanité tout en n’ayant que du mépris pour elle et s’est forgé une idole de Stavroguine alors qu’il ne croit à rien.»
«De ce prémisse athée, Verkhovensky conclut à l’amoralisme politique. Le "tout est permis" lui ouvre le droit au mensonge, à la duperie, à la destruction et au meurtre d’innocents.»
«Celui-ci s’est convaincu que le bien de l’humanité viendrait de la destruction universelle et il est ensuite prêt à tout pour y parvenir, sans morale aucune.»
«Le personnage de Verkhovensky est complexe et inquiétant et si l’objectif de Dostoïevski était de montrer les dangers du nihilisme sur la jeunesse russe d’alors, on peut dire qu’il y a parfaitement réussi. A travers la peinture de ce jeune homme, nihiliste mais néanmoins sensible au beau, enthousiaste et cynique au plus haut degré, l’écrivain nous donne une image apocalyptique du néant.»
Stavroguine le provoque immédiatement : « Oui, je crois au diable. Je crois canoniquement ; je crois au diable personnel, et non allégorique ».
Mélanie LEGAT, En quoi, dans l’œuvre de Dostoïevski, la question de Dieu renvoie-t-elle à celle de la liberté?