Chronos représente le présent des corps et des causes. Chronos n'a qu'un temps, le "présent vivant". Aiôn, les devenirs

jueves, febrero 20, 2014



"Dans le clivage du temps, Chronos représente le présent des corps et des causes, tandis qu' Aiôn représente le temps qui recueille les événements ou effets de surface, les devenirs. Chronos n'a qu'un temps, le "présent vivant" ; Aiôn en possède deux, le passé et l'avenir, mais n'a pas de présent. C'est dire qu'il est un incorporel, illimité, infiniment divisible."

"Deleuze, comme Nietzsche, est à la recherche d'une fonne d'intemporel qui ne serait ni l'éternité (l'absence de temps) ni la sempiternité (la permanence indéfinie dans le temps d'une nature ou structure)."

"On sait que le « génie» des Stoïciens fut de cliver la causalité, et de faire passer une coupure entre le monde des causes et des corps, d'un côté, et des purs effets, incorporels, de l'autre."

« Si bien que le temps doit être saisi deux fois ... », dit Deleuze.

Ainsi Chronos est-il chargé de représenter:

(1) "le présent vivant" des corps qui agissent et pâtissent; « le seul temps des corps et des états de choses, c'est le présent», et le seul temps réel

(2) « seul le présent existe dans le temps».

Tandis que, de son côté, Aiôn représentera la dimension temporelle propre aux événements ou devenirs purs que sont les effets de surface, comme résultats impassibles des actions des corps et qui, sans exister, « insistent» dans le temps
« extra-être ». L' Aiôn, sans présent, se divise indéfiniment en passé et avenir. Les événements

(3) « ce ne sont pas des présents vivants mais des infinitifs: Aiôn illimité, devenir qui se divise à l'infini en passé et en futur, toujours esquivant le présent».

L'Aiôn constitue donc le temps qui recueille les événements ou sens, comme incorporels, extra-êtres.

On aboutit ainsi à une conception non homogène des trois temps du temps

(passé, présent, futur ne sont pas des parties d'un même temps), mais à deux
« lectures exclusives» du temps

(4) « d'une part le présent toujours limité, qui mesure l'action des corps comme causes, et l'état de leurs mélanges en profondeur (Chronos) ;

d'autre part le passé et le futur essentiellement illimités,

qui recueillent à la surface les événements incorporels en tant qu'effets (Aiôn) »."


"Dans Logique du sens, Gilles Deleuze montre que nous ne pouvons nous contenter de la seule opposition, habituelle, des mots et des choses. Entre les deux séries ou strates, celle des corps et celle des propositions, il nous faut un troisième terme, ou milieu. Intermédiaire, ou « à la frontière» des propositions ou des choses,

le SENS se dit de la chose (attribut logique) sans se confondre avec une qualité dans la chose (une qualité physique).

Il est l'exprimé (=lekton) de la proposition (du verbe précisément) sans laquelle il n'existerait pas.

L' Aiôn est la surface qui recueille le sens, comme extra-être,

le présent vide

ou la sorte d'éternité où subsiste l'événement, toujours prêt à venir (futur) et toujours déjà passé (puisqu'il n'a pas de présent).

D'où l'événement pur, comme effet de surface, est l'x angoissant dont on sent que
« cela» vient de se passer et qui, en même temps, va se passer.

Mais, plus profondément, en tant qu'indissociable d'un Evénement sans actualité et unique (qui vaut pour « tous les événements »,

l'Aiôn, comme forme vide de temps

et fêlure du Je, se déplace en ligne droite (attaché au non-sens du point aléatoire qui est comme son centre d'engendrement) opérant la division des choses et des signes.

Par là, il est l'Événement lui-même comme Temps pur (ou blessure, ou mort) :

(5) L'Aiôn en ligne droite et forme vide, c'est le temps des événements-effets .

(6) "L'Aiôn c'est la ligne droite que trace le point aléatoire".

(7)  "Il appartient donc à l'Aiôn, comme milieu des effets de surface ou des événements, de tracer une frontière entre les choses et les propositions: il la trace de toute sa ligne droite."

Le déplacement de l'objet paradoxal, qui produit le sens par la mise en communication des séries hétérogènes, est lui-même le point qui trace la ligne droite de l' Aiôn. Sur cette ligne, qui est en même temps une surface, se distribuent les événements que le point aléatoire fait communiquer."

8) «Chaque événement communique avec tous les autres,

tous forment un seul et même Événement,

événement de l'Aiôn où ils ont une vérité éternelle.

Enfin, l'Aiôn, en tant qu'il n'est autre que le nom de la surface comme lieu du sens, joue le rôle d'une limite incorporelle « qui garantit le langage sonore de toute confusion avec le corps physique». L' Aiôn permet l'organisation secondaire et empêche l'effondrement schizophrénique (la faillite de la surface) qui se produit quand les mots se rabattent sur les choses."

"En effet, le temps indéfini (Aiôn) est rattaché au monde des corps, dont il est le simple "accompagnement" ou résultat. II n'a de quasi-être que par l'entremise d'un

mouvement rétrograde de la pensée

opéré à partir de l'existence des corps et du monde. Le temps est, comme le vide, un incorporel, et, en tant que tel, comme tous les exprimés de la proposition, dit l'historien Victor Goldschmidt,

il est un irréel,

auquel on ne saurait prêter aucun pouvoir d'incarnation, ou de virtualité active. Ce virtuel n'est doté d'aucune efficacité, contrairement à ce qui est impliqué chez Deleuze, avec les idées d'« incarnation», d'« incorporation» ou d'« effectuation ».


"Avec Deleuze nous avons donc affaire à deux ordres de réalités, à deux strates parallèles,

la surface des événements et des virtualités, d'un côté,

et le fond des corps actuels, de l'autre,

et ces plans sont dans un rapport d'effectuation, d'incarnation."

"D'où la création, par Deleuze, du concept de « plan d'immanence» de la pensée (dans Qu'est-ce que la philosophie ?), qui remplace celui de surface (et d'Aiôn comme temps de cette surface)."

"À la suite de Bergson, il reconnaît en effet à la durée le pouvoir de « se partager sans se diviser», d'« être une et plusieurs », c'est-à-dire de constituer « un seul temps (monisme) », fait d'« une infinité de flux actuels (pluralisme généralisé) » qui participe du « même tout virtuel (pluralisme restreint) »"


Le Vocabulaire de Gilles Deleuze
Sous la direction de Robert SASSO et Arnaud VILLANI

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