Désubjectivation. "Le sujet n'existe jamais qu'à l'état « larvaire»"

martes, febrero 25, 2014


"Abolissement de la forme aliénée sous laquelle l'individu est constitué en sujet, au profil d'une subjectivation sans assujettissements."

« Désubjectiver la conscience et la passion »

"Mais il s'agit d'occurrences exceptionnelles. Deleuze emploie plus couramment les termes voisins de dépersonnalisation ou, plus généralement, de déterritorialisation."

"La question de la subjectivation est en effet la question fondamentale et récurrente pour Deleuze."

"Et, dans les textes qui suivront, c'est encore cette conception qui prévaudra: tous les devenirs (guêpe, orchidée, femme, etc.) qu'analyse Deleuze sont des modes de désubjectivation qui témoignent de ce que

le sujet n'existe jamais qu'à l'état « larvaire», et non comme « sujet substantiel achevé, bien constitué »"

"La désubjectivation se dit d'un sujet

« sans identité, toujours décentré»,

qui s'ouvre à la multiplicité de ses individuations possibles

(au lieu de s'inventer une identité) et se laisse disloquer par la virtualité multidimensionnelle de l'Aiôn (au lieu de se cramponner à l'actualité de Chronos).

Elle représente en conséquence un

« exercice sévère de dépersonnalisation»



s'accomplissant dans la

«corrélation du Je fêlé avec le moi dissous»,

 et dont l'enjeu est de libérer le sujet des mystifications de l'histoire opérées au nom du progrès de la conscience et du devenir de la raison ».

Elle fait paraître le caractère indécidable et instable du devenir-sujet -c'est-A-dire, montre que le sujet, toujours issu d'un «synthèse passive» qui lui permet d'exister en contractant » les forces d'où il procède, ne peut aller que d'une «synthèse disjonctive» à une autre,

en changeant constamment de « point de vue »

et en faisant communiquer les différents points de vue qu'il expérimente.

Elle est le mode d'individuation en intensité d'un sujet qui intériorise le dehors et dont le rapport au dehors est aussi -et constitutivement-un rapport au temps pur."


"Le sujet deleuzien est donc un sujet dépossédé de lui-même

qui ne peut s'actualiser que « par variation, expansion, conquête, capture, piqûre», en se laissant déterritorialiser par l'intensité de l'événement pur et segmenter par la « singularité libre, anonyme et nomade qui parcourt aussi bien les hommes, les plantes, les animaux indépendamment des manières de leur individuation et des formes de leur personnalité».

Il est un « agencement machinique de désir» tourné vers des « lignes de segmentation» (ou « stratification») qui font du multiple « une détermination attribuable à un sujet» et vers des «lignes de fuite» (ou « déterritorialisation »)

qui ne cessent de « défaire l'organisme,

de faire passer et circuler des particules asignifiantes, intensités pures»;

en synergie avec « un agencement collectif d'énonciation », lui-même branché sur un « prodigieux dehors qui fait multiplicité» et travaille sur des « flux sémiotiques », mais aussi « matériels et sociaux»."

"En mettant ainsi en avant la question de la désubjectivation. Deleuze entend prendre résolument le parti de la vie aux côtés de Nietzsche et éliminer les « passions tristes» au profit de l'affirmativité pure comme nous y convie Spinoza, mais il entend le faire en s'appropriant par ailleurs la leçon de Fitzgerald et des littérateurs expérimentateurs maudits, c'est-à-dire en se souvenant que

« toute vie est bien entendu un processus de démolition»"

"Le sujet qu'il soumet à la désubjectivation est « un sujet d'ordre pratique dont les fins réelles sont d'ordre passionnel, moral, politique, économique» et

qui est incapable de distinguer « sa raison de son délire».

Et la désubjectivation est elle-même une réponse singulière et inédite au problème général en lequel le protoDeleuze avait reconnu le problème de Hume et de Bergson et qu'il formulait en ces termes

« Le sujet, étant l'effet des principes [à savoir,

les « principes de l'association» qui lui donnent sa « forme nécessaire »,

et les « principes de la passion» qui fonctionnent comme « principe d'individuation»,

n'est rien d'autre que l'esprit comme activité

Pour parler comme Bergson disons que le sujet est d'abord une empreinte,

une impression laissée par les principes, mais qui se convertit progressivement en une machine capable d'utiliser cette impression».

Mais, tandis que Hume attribuait au sujet une « forme nécessaire », Deleuze le pense à partir d'un « principe mobile d'unification par distribution nomade», en montrant que

le temps lui-même ne signifie pas seulement « une passivité dans le moi », mais aussi « une faille ou une fêlure dans le Je », qui témoigne de ce que

« l'individualité n'a pas le caractère du moi, mais au contraire forme et nourrit le système du moi dissous»"

"Aussi le « champ transcendantal » deleuzien est-il un « champ de forces» qui ne surplombe pas le « champ empirique », mais est directement en prise sur lui, et qui

ne comporte aucune instance originelle, aucune territorialisation ultime

(grand signifiant despotique, triangle œdipien, etc.), mais

est constitué de « singularités pré-individuelles»

qui manifestent le statut positif de l'indétermination.

Il permet de poser le problème de l'individuation en termes de « multiplicités linéaires à n dimensions », soumises à des « déformations anarchiques» qui ne se laissent ramener ni à l'un ni au multiple,

et de le résoudre ainsi

« Il faudrait que l'individu se saisisse lui-même comme événement. Et que l'événement qui s'effectue en lui,

il le saisisse aussi bien comme un autre individu greffé sur lui.

Chaque individu serait comme un miroir pour la condensation des singularités, chaque monde une distance dans un miroir»"

"Aussi, la maxime de la désubjectivation est-elle

« Non pas en arriver au point où l'on ne dit plus je,

mais au point où ça n'a plus aucune importance de dire ou de ne pas dire je.

Nous ne sommes plus nous-mêmes. [ ... ] Nous avons été aidés, aspirés, multipliés»"


Le Vocabulaire de Gilles Deleuze
Sous la direction de Robert SASSO et Arnaud VILLANI

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