Les Grecs

domingo, febrero 23, 2014



"Les Grecs poursuivent un absolu, mais comme il est un peu borné, ils croient candidement à la possibilité de sa réalisation immédiate. Leur imagination a de terribles désirs, mais ces désirs, quoi qu’ils disent et peut-être pensent, ne vont pas au-delà de la proie vivante à atteindre, et s’ils revêtent leurs prétextes d’un idéalisme ingénu, il croule comme un décor dès que la proie se dérobe.

Il va d’un bond à cette proie, et par n’importe quel chemin, le plus souvent sans réfléchir. La réflexion vient quand surgit l’obstacle, et le péril.

Le Grec redoute deux choses, la responsabilité et la mort.

Il ne suit jamais jusqu’au bout celui qui recherche l’une et qui sait accepter l’autre et, après l’avoir soudain idolâtré parce qu’il flattait son désir en attisant son imagination, il lui réserve, brusquement, la calomnie et le martyre. Comme ce désir l’entraîne au-delà de ses moyens, ce sont les moyens de son chef qu’il accuse, si ce désir n’est pas pleinement satisfait.

Le grand homme, c’est l’ennemi, parce que ses gestes provoquent la réflexion, l’action, la guerre.

La guerre perpétuelle, qui n’est que la passion transportée dans le plan politique, entretenue par l’instabilité, la déroute, la renaissance du désir, l’impossibilité d’y renoncer à cause de la proie visible, l’impossibilité de la conduire à sa fin à cause des sacrifices et des misères qu’elle conditionne et entretient. L’Apollinisme en est le fruit, d’autant plus splendide, il faut le dire, que le drame, plus terrible, orme quelques hommes supérieurs plus ardents à le maîtriser. Il est l’ordre idéal établi par l’esprit dans le chaos des opinions et des intérêts antagonistes, la rivalité sauvage des partis, le besoin frénétique, à tout instant rompu, de saisir un bien matériel à qui les convoitises décharnées prêtent une apparence de fantôme changeant et fuyant sans repos, l’irruption continue, dans l’imagination surexcitée d’une multitude intelligente, turbulente, insatiable, d’images claires et précises qu’elle compte réaliser. La grande gymnastique en en est l’expression sociale essentielle, qui maintient dans le tumulte le désir impérieux d’imposer à tous une discipline capable d’assurer la continuité de l’effort intellectuel même. Le grand homme, artiste ou guerrier, est comme un nerf tendu entre les deux extrémités d’un arc toujours vibrant que le sang et la fange souillent. Et par elle, et par lui,

cette race vile, mais passionnée et que la soif de dominer ravage,

est quand même une grande race, ce qui prouve, une fois de plus, que la civilisation et la morale sont choses qui ne coïncident pas toujours.

Le Grec ne valait moralement pas mieux aux temps de Périclès, ni même de Pisistrate, qu’aux temps moins héroïques de Philippe ou de Sylla. Mais il n’avait pas perdu, sous Périclès ou Pisistrate, l’énergie vitale terrible qui lui permit de traverser de part en part le drame en y puisant le privilège de déléguer à quelques hommes la mission de le styliser. L’immoralité ne commence que quand la force décroît."

"...rien dans la vie sociale qui puisse faire naître ou développer les tendances mystiques. Une religion naturiste, très fruste dans les croyances populaires, peut-être même assez grossière, mais puisée à des sources si pures et si poétisées par les chanteurs que les philosophes, quand ils croiront lutter contre elle, ne feront que dégager d’elle la conception rationnelle du monde que ses symboles recouvraient. Sans doute, l’homme craint les dieux. Mais comme les dieux lui ressemblent, ils ne détournent pas sa vie des rapports normaux et naturels qui la lient à celle des hommes. Le prêtre n’a que peu d’action. La Grèce est peut-être le seul des vieux pays où la caste sacerdotale n’ait pas vécu en marge du peuple pour lui représenter le mystère comme un domaine réservé. De là la rapidité de son évolution et la liberté de son enquête."

"...l’athlétisme, par l’intermédiaire de la sculpture, est le père de la philosophie, du moins de la philosophie platonicienne, dont le premier soin fut de se retourner contre la sculpture et l’athlétisme pour les tuer."

Élie Faure

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