L'art grec

domingo, febrero 23, 2014


"On voit désormais pourquoi, dans les manifestations les plus hautes même du génie grec, ne vit aucune illusion supérieure. Il s’agit simplement d’atteindre la forme absolue. C’est de l’intelligence pure et parfaite, mais limitée. L’ivresse mystique est interdite au philosophe trop subtil qui voit nus devant lui les mobiles toujours intéressés et consciemment intéressés de tous les actes, comme au sculpteur trop clairvoyant auquel, par un contraste saisissant avec l’homme qu’elle nourrit, une nature trop harmonieuse et mesurée ne présente aucun abîme à explorer, aucune contradiction d’ordre plastique à résoudre. Leur énergie bandée commande des solutions simples, parce que les gestes de l’homme et les aspects du monde le sont. L’universel mystère échappe à l’âme grecque, parce qu’elle le fait tenir dans les bornes de la raison."

"Mais par là précisément l’art grec, étant le moins mystérieux qu’on sache, est !e mystère de l’art. Il est en contradiction radicale avec le principe profond de l’art même, qui est d’imaginer pour nous un monde intérieur vivant et s’enivrant d’une illusion toute-puissante, et d’en donner une image qui ne soit pas la représentation exacte de notre monde extérieur. Tout symbolisme lui est étranger. Il est naturaliste. Et si dans son désir d’absolu réalisable, il fait la nature plus belle, c’est dans le sens étroit qu’elle lui a enseigné. Il ne transpose pas, il ne stylise pas, il ne schématise pas, il ne résume même pas. Il exprime avec perfection. Il pousse la splendeur physique de la vie, et rien que physique, jusqu’à l’extrémité des indications formelles que la vie lui a révélées. Il dit tout, comme on ne saura jamais mieux, ni sans doute aussi bien le dire, mais ne suggère à peu près rien. C’est ce qui le fait incomparable, et arrêté. Il est anthropomorphiste, à coup sûr, puisqu’il ne voit rien au-delà de la forme humaine conduite au point le plus rigoureux d’adaptation à sa fonction et d’harmonie. Il n’est pas anthropocentriste. En limitant à la représentation de l’objet, perfectionné par une étude attentive, l’expression qu’il donne du monde, il s’interdit de rechercher en l’homme même les moyens d’élargir le monde et d’en spiritualiser infiniment et inépuisablement les aspects."

"Cet art splendide, le plus sage, le plus rationnel de tous, nous apparaît, pour cette raison même, en quelque sorte comme monstrueux. Et le seul qui soit monstrueux."

"Animée et placée au milieu des hommes, elle n’y paraîtrait ni familière ni étrangère nous y verrions, certes, un aspect possible ou désirable de nous-mêmes, mais nos tares, nos insuffisances, nos àpeu-près et nos demi-mesures ne s’y reconnaîtraient pas. Dans un monde idéal, elle semblerait immobile, cristallisée, trop limitée et pas assez résolument étrange pour nous faire entrevoir nos abîmes intérieurs. Elle ait de son mieux, au contraire, pour nous les dérober. Mais l’homme de toujours est plus complexe qu’elle, sinon plus ambitieux."

"On peut dire qu’à ce point de vue l’art grec, qui jamais cependant n’a fabriqué un monstre, est plus menteur que l’art égyptien ou chinois, qui n’ont cessé d’en fabriquer. C’est parce qu’il a cru à la réalité de ce mensonge que son humanité parfaite prend cet accent monstrueux."

"C’est à une race tout à fait inculte qu’allait échoir l’héritage intellectuel de l’Égypte et de l’Asie qui lui demandaient, en échange de leur haute spiritualité et de leur profond sensualisme, l’élan et la puissance de sa virilité. "

"Le passage, où l’Égyptien n’a vu qu’un exercice métaphysique admirable, devient avec le Grec l’instrument de l’investigation sensuelle et rationnelle. Après lui, le passage est au plan sculptural ce que la philosophie est à la science."

"...jusqu’au jour où sa science tuera son émotion."

"La sensation d’infini spirituel que donne l’art égyptien, d’infini matériel que donne l’art indou, on ne la trouve pas dans l’art qui exprime l’âme hellénique. On y trouve un accent d’harmonie balancée qu’il a seul, et qui le fait tenir dans les limites de notre intelligence, sans qu’elle puisse cependant saisir le commencement et la fin de la mélodie qui la berce."

 "La sensibilité grandit aux dépens de l’énergie morale, la raison déborde la foi, l’enthousiasme s’émousse au contact de l’esprit critique. Les philosophes, que la sculpture a tant contribué à former en donnant la vie aux idées, vont renier leur origine, rire des poètes et des artistes et décourager l’inspiration des statuaires en égarant les esprits dans les méandres de la sophistique."



Élie Faure


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