Rimbaud : Le Rêve

jueves, diciembre 05, 2013



"On s’accorde généralement pour dire que “Nocturne Vulgaire”

reproduit la logique des rêves.

Certes, le texte propose des séquences d’images reliées par des
mécanismes apparentés à ceux du rêve: dilatation des repères spatio-temporels,
dédoublement du narrateur, absence de connecteurs logiques, mouvement
comme principale source d’unité narrative, association syntactique des signes
fondée sur leur proximité phonique. Mais ces mécanismes, qui sont textuels,
sont relativement assimilables aux mécanismes profonds du rêve qui échappent
à l’emprise pleine du sujet et, par là même, à la possibilité d’être intégralement
reproduits dans l’écriture (la possibilité d’une appréhension achevée des
mécanismes oniriques par le langage est d’ailleurs discutée).
S’il y a bien dans le déploiement de “Nocturne Vulgaire” une certaine logique
du rêve que ce travail prétend analyser, la motivation des signes et des images
du texte ne se réduit pas pour autant à cette seule logique."



"Il est vrai que, comme dans les rêves, les images se superposent sans
jamais recourir à des connecteurs de causalité, de conséquence ou d’opposition.
Il n’y a aucun lien logique apparent, sauf la conjonction copulative et que l’on
trouve par deux fois reliant des phrases verbales, sans pour autant créer une
hiérarchie ou une causalité quelconque entre des péripéties dont l’enchaînement
n’est pas justifié par le contexte. Tantôt la conjonction assure une cohésion
grammaticale avec ce qui précède la parenthèse, tantôt elle établit une
correspondance entre deux mouvements circulaires, celui du carrosse qui vire
et celui des figures qui tournoient: Corbillard de mon sommeil, isolé, maison de
berger de ma niaiserie, le véhicule vire sur le gazon de la grande route effacée:
et dans un défaut en haut de la glace de droite tournoient les blêmes figures
lunaires, feuilles, seins […] (2004: 429)"



"Par moments, aussi, est suggéré un détachement du sujet,

comme s’il se dédoublait pour voir du dehors

la disparition des figures circulaires, la désintégration du carrosse ou
l’action que son corps subit. Une phrase comme un vert et un bleu très foncés

envahissent l’image peut supposer un spectateur qui regarde l’image du dehors.

Le verbe envahir va bien dans ce sens puisqu’il suppose un mouvement

qui va de l’extérieur à l’intérieur;

de même, l’article défini (“l’image”) évite le renvoi au contexte qu’impliquerait
un article anaphorique (par exemple: “un vert et un bleu envahissent cette image”)
et qui permettrait une lecture univoque de la phrase – l’image envahie serait alors,
simplement, celle qui se trouvait dans un défaut de la glace. Mais avec l’article défini,
l’ambiguïté demeure: l’image envahie peut tout aussi bien être la séquence qui va
de corbillard de mon sommeil à blêmes figures lunaires et qui comprend,
dans un jeu de dimensions superposées,

ce sujet dissocié

qui, du dehors, se voit à l’intérieur du carrosse.
L’expression corbillard de mon sommeil, enfin, manifeste cette séparation entre
le sujet et ce qu’il appelle son sommeil et contribue au jeu de perspectives qui
montre ou occulte arbitrairement des pans entiers de la scène du “Nocturne”.
De ce fait, nous nous trouvons encore dans une logique du rêve, où
très souvent la chose rêvée est vécue du dehors."



"C’est alors que le protagoniste perd définitivement sa propre individualité

et se voit plongé dans une entité collective endurant l’agression d’une force
extérieure et inconnue (le passage au pluriel pourrait alors s’entendre comme
une allusion au destin collectif de la mort). Ce qu’il y a peut-être de plus inquiétant
dans l’expression rouler sur l’aboi des doguesest cette matérialisation d’un bruit
agressif qui enveloppe le sujet (les sujets) dans son mouvement et l’entraîne dans
un cahotement sans fin, comme le suggèrent les points de suspension.
A cause de cette image, il est difficile de lire dans ce je qui devient nous
le signe d’une assimilation harmonieuse du sujet à une totalité: on y voit plutôt

la perte de l’individuation dans un monde qui ne reconnaît plus le sujet,

qui en fait la proie d’une fatalité dont la vision est, comme les rêves, éphémère,
chaotique, immaîtrisable."






Le rêve, le sommeil et la mort dans “Nocturne Vulgaire” de Rimbaud

Magdalena CÁMPORA
Doctoranda Universidad de Paris IV- Sorbonne

.

You Might Also Like

0 comments

Popular Posts

Like us on Facebook

Flickr Images