Rimbaud l'Enfer te cherche
jueves, diciembre 12, 2013
"— « Et que voulez-vous que je vous raconte de mon travail d'ici qui me répugne
déjà tellement et du pays que j'ai en horreur ! » (Harar, 22 juillet 1881). — »
Je trime comme un âne dans un pays pour lequel j'ai une horreur invincible )).
(Aden, 10 mai 1882).
— « Mais, c'est égal, les années se passent, je mène une existence stupide,
je n'amasse pas de rentes », (Aden, 15 janvier i885).
— « On mène ici l'existence la plus atroce du monde...
Vous ne voudriez pour rien au monde vivre la vie que je mène ici ! »
(Aden, 14 avril i885)
Vous ne vous figurez pas du tout l'endroit. Il n'y a aucun arbre, même désséclié,
aucun brin d'herbe, aucune parcelle de terre, pas une goutte d'eau douce. Aden
est un cratère de volcan éteint et comblé au fond par le sable de la mer. On n'y voit
et on n'y touche donc absolument que des laves et du sable qui ne peuvent
produire le plus rance végétal. Les environs sont un désert de sable absolument
aride. Ici les parois du cratère empêchent l'air d'entrer, et nous rôtissons au fond
de ce trou comme dans un four à chaux.
Il faut être bien victime de la fatalité pour s'employer dans des enfers pareils !
—(Aden, 28 septembre 1S85).
Et cette lettre, datée du Caire, 28 août 1887 : Je suis venu en Egypte parce que les
chaleurs étaient épouvantables cette année dans la Mer Rouge : tout le temps
50 à 60 degrés ; et me trouvant très affaibli,
après sept années de fatigues qu'on ne peut s'imaginer et de privations
les plus abominables,
j'ai pensé que deux ou trois mois ici me remettraient ; mais c'est encore des frais
et je ne fais rien et la vie est à l'européenne et assez chère.
Je me trouve tourmenté ces jours-ci par un rhumatisme dans les reins,
qui me fait damner;
j'en ai un autre dans la cuisse gauche qui me paralyse de temps à autre,
une douleur articulaire dans le genou gauche, un rhumatisme (déjà ancien),
dans l'épaule droite ; j'ai les cheveux absolument gris.
Je me figure que mon existence périclite.
Figurez-vous comment on doit se porter, après des exploits du genre suivant:
traversées de mer en barque et voyages de terre à cheval, sans vêtements,
sans vivres, sans eau, etc. etc. . . Je suis excessivement fatigué.
Je m'ennuie à mort. Je n'ai rien à faire à présent.
J'ai peur de perdre le peu que j'ai. Figurez-vous que je porte continuellement
dans ma ceinture quarante et des mille francs d'or;
ça pèse une vingtaine de kilos et ça me flanque la dyssenterie.
Pourtant je ne puis aller en Europe, pour bien des raisons. D'abord,
je mourrai l'hiver; ensuite
je suis trop habitué à la vie errante, libre et gratuite ;
enfin je n'ai pas de position.
Je dois donc passer le reste de mes jours à errer
sous les fatigues et les privations, avec l'unique perspective de mourir à la peine..."
MARCEL COULON LE PROBLÈME DE RIMBAUD POÈTE MAUDIT
NIMES A.GOMÈS,ÉDITEUR 1923
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